Diagnostic et surveillance des méningo-encéphalites aiguës de l’enfant au Cambodge
DEMELE
Au cours des deux dernières décennies, l'Asie du Sud-Est a été le théâtre de nombreuses épidémies. Elle a affronté successivement des flambées de grippe A (H1N1), suivies de celle de la grippe aviaire A (H5N1), puis de la grippe A (H9N2). Par la suite, elle a dû faire face à des épidémies de virus Nipah, d'encéphalite japonaise, de fièvre hémorragique de Crimée-Congo (FHCC), de MERS-CoV, de chikungunya et de dengue. La région a également été touchée par le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) avant de rencontrer l'épidémie de SRAS-CoV-2, responsable de la pandémie de COVID-19. Cependant, les menaces ne se limitent pas aux virus. Cette pandémie a exacerbé la crise mondiale de la résistance aux antimicrobiens. Ces événements, au-delà de leur morbidité, mortalité et impact économique, ont révélé d'importantes insuffisances dans les systèmes de surveillance des maladies. Ces lacunes rendent difficile la détection et la réponse rapides, principalement à cause des limitations des laboratoires cliniques et de santé publique à travers la région. L'importance d'un diagnostic fiable ne peut être sous-estimée. Il est le fondement des stratégies d'alerte, de réaction et de maîtrise des épidémies et est vital pour assurer la santé de la population.
L'objectif principal est de contribuer à l'amélioration des compétences diagnostiques en laboratoire et de la surveillance des méningo-encéphalites pédiatriques au Cambodge. Cela permettra une détection rapide des agents pathogènes, une caractérisation efficace des épidémies, une prévention des maladies nouvelles ou réémergentes, et une amélioration des soins aux patients.
Plus précisément, les objectifs spécifiques sont de renforcer le laboratoire national de l’UHS avec des outils de diagnostic spécifiques pour les méningo-encéphalites en biologie moléculaire, d'améliorer la formation des cliniciens et des biologistes sur ces affections au Cambodge, et de consolider le système de surveillance national pour ces maladies.
Sothavireak Bory
Leakhena Phoeng, Audrey Dubot-Pérès, Bertrand Guillard, Sokleaph Cheng, Ly Sovann, Florian Girong
MEAE FEF
Unité des Virus Emergents (Marseille), Cambodian Center for Disease Control, Institut Pasteur Cambodge, Université des Sciences de la Santé (Phnom Penh)
Les cas de méningites et les encéphalites dues aux maladies infectieuses sont surveillés étroitement sur le plan national et international du fait des risques d’épidémies et du fait de leurs gravités. Les pathogènes impliqués sont d’origines virales, bactériennes, fongiques ou parasitaires. En Asie du Sud-Est la majorité des méningo-encéphalites sont virales ou bactériennes et bon nombre appartiennent aux maladies infectieuses à potentiel émergent ou ré-émergent dont notamment les arbovirus (Virus de l’Encéphalite Japonaise (JEV), de la dengue (DENV), West Nile, Zika (ZIKV), etc…) et/ou des zoonoses. Une étude récente multicentrique à l’échelle de l’Asie du Sud-Est a confirmé le poids épidémiologique des encéphalites chez les enfants dans la région (Pommier JD et al. 2022). L’infection par le JEV représente la principale cause d’encéphalite virale en Asie avec un taux de létalité qui atteint 30% des cas. L’OMS estime à 68 000 le nombre de cas d’encéphalite japonaise rapportés chaque année dans le monde. Cependant ce nombre est probablement sous-estimé du fait de la difficulté du diagnostic et d’une surveillance limitée dans certaines régions endémiques à JEV, comme c’est le cas au Cambodge. L’OMS identifie 24 pays d’Asie du Sud-Est et d’Océanie à risque de transmission du JEV. Cependant, cette répartition géographique ne cesse d’augmenter, du fait du changement climatique d’une part, qui favorise la propagation des moustiques vecteurs, et de l’extension des zones de riziculture et d’élevage porcins d’autre part. L’Australie a récemment connu, en 2021 et 2022, des épidémies d’infection à JEV sans précédent. De plus, en Asie les infections à arbovirus se superposent fréquemment comme c’est le cas pour la dengue et les infections à JEV.
Au Cambodge, la recherche des causes des méningites ou des encéphalites est limitée. Les médecins prescrivent des antibiotiques de manière probabiliste, des antibiotiques qui parfois ne sont pas utiles ou pas efficaces sur le pathogène en cause. Pour autant, de nouvelles capacités de diagnostic rapide existent via notamment des plateformes multiplex de dépistage par biologie moléculaire. Ces plateformes sont utilisées en routine en France afin d’obtenir en urgence le diagnostic étiologique des méningites et encéphalites et d’en adapter la prise en charge. Ces plateformes sont capables de dépister en quelques heures plus d’une dizaine de pathogènes différents.
Ce projet ambitionne de répondre aux besoins suivant : i) le manque de capacité diagnostique des causes de méningo-encéphalites des enfants au Cambodge ; ii) l’amélioration du système national de surveillance syndromique grâce à la remontée rapide de données cliniques et biologiques. Ce projet permettrait à l’échelle individuelle, un bénéfice direct pour les enfants en termes de diagnostic étiologique, à l’échelle collective ce projet permettrait une réduction et une adaptation de la prescription d’antibiotiques, ainsi qu’un repérage rapide d’éventuels cluster de cas ce qui permettrait de mieux contrôler un début d’épidémie.
Ce diagnostic des besoins fait suite à un état des lieux partagé par les acteurs et experts locaux que sont l’Université des Sciences et de la Santé (UHS) en charge de la formation des soignants et des biologistes au Cambodge, l’Institut Pasteur du cambodge (IPC) en charge des analyses biologiques, les hôpitaux Kantha Bopha à Siem Reap et à Phnom Penh, référents pour la prise en charge pédiatrique, ainsi que le Cambodian Center for Disease Control (CDC) en charge de la surveillance. Enfin, ce diagnostic est aussi posé et promu par les autorités sanitaires internationales, dont l’OMS, et entre dans le cadre des Plans de Réponses aux Pandémies qui incitent les pays à se doter de capacités de diagnostic afin de mieux contrôler le risque d’émergence infectieux. Enfin le renforcement des structures de soins fait partie des axes prioritaires du gouvernement cambodgien ainsi que de la politique en santé mondiale française.