« Un faire qui ne peut pas se dire »
« Un faire qui ne peut pas se dire » : la médiation en santé, une profession inachevée dans le champ du VIH en France
L’objectif principal est de mieux comprendre la manière dont la médiation communautaire est pensée et mise en œuvre dans le champ de la lutte contre le sida en France, en particulier auprès des minorités sexuelles et de genre. Ainsi, le projet vise à : 1) retracer et documenter l’émergence de la médiation en santé dans le champ de la lutte contre le sida ; 2) documenter et analyser les pratiques et les représentations de la médiation en santé auprès d’associations et de services pour les communautés LGBT+ ; 3) analyser les valeurs et les visions politiques qui façonnent ces pratiques et relever leurs différences.
Gabriel Girard
ANRS MIE
Acceptess-T
Historiquement, les pratiques de médiation en santé ont joué un rôle incontournable dans l’accès aux soins : elles rapprochent et retiennent dans les soins les personnes et les populations les plus éloignées et sont une interface entre les services de santé et les patients-es. Les médiateurs-ices mobilisent des savoirs expérientiels et sont souvent issus-es des mêmes communautés des personnes accompagnées. Si, à l’heure actuelle, les médiateurs-ices sont de plus en plus considérés-es comme des acteurs-ices clé, leur appartenance « minoritaire » et les connaissances qui en découlent peinent à être reconnus et valorisés formellement. Ainsi, en France, celle de la médiation en santé demeure une profession inachevée n’ayant pas connu une reconnaissance définitive de ses savoirs. En recherche, les expériences psychiatriques et en addictologie ont dominé dans la vision de ce métier. Ici, la médiation est appréhendée comme la professionnalisation de la relation entre personnes vivant avec la même maladie. Les médiateurs-ices sont des ex patients-es ayant un double rôle : transmettre leurs savoirs expérientiels aux soignants-es pour améliorer le suivi ; être des modèles pour les patients-es et favoriser ainsi leur « rétablissement ». La médiation en santé dans le milieu du VIH et appréhendée au prisme de ses mouvements sociaux remet en question cette vision tout en étant porteuse d’un changement de paradigme. La médiation en santé naît de la rencontre avec les luttes pour les droits des personnes précarisées et fédère différents types d’expertises (communautaires, médicales, en recherche). Des pratiques de médiation avant l’heure étaient mises en place par les premières associations de lutte au sida. Cependant, la genèse de l’accompagnement en santé sur le terrain, demeure nébuleuse. Ce projet part du principe que les pratiques de médiation ont profondément évolué sous la double influence de la biomédicalisation de la prévention du VIH et de l’émergence de nouvelles associations par et pour les personnes LGBT+. Le cadre du VIH, au croisement des expériences LGBT et migrantes, pointe aux limites des récits dominants sur la médiation en santé. Les avancées en matière de prévention biomédicale du VIH (TASP, PrEP, TPE) ainsi que les dispositifs de prévention mis en place en France à la frontière entre contexte associatif, communautaire, scientifique et hospitalier, permettent de repenser la médiation en santé de manière innovante.
Ce projet procède d’un travail de co-construction entre un laboratoire de recherche (le SESSTIM), une association de lutte pour les droits des personnes trans (Acceptess-T) et un centre de santé sexuelle à approche communautaire (CSSAC) et Cegidd (le Checkpoint Paris) et repose sur un volet socio-historique et un volet sociologique. Le volet socio-historique vise à retracer les origines et le développement de la médiation communautaire dans le champ de la lutte contre le sida et s’appuie sur l’analyse de documents et des entretiens collectifs et individuels avec des témoins historiques. Le volet sociologique vise à documenter et analyser les pratiques et les représentations actuelles de la médiation en santé en milieu LGBT+ et s’appuie sur les entretiens, l’observation des pratiques et les ateliers d’échanges de pratiques entre médiateurs-ices. Le projet contribuera aux archives de lutte aux VIH/sida, à la montée en compétences des acteurs-ices et à la valorisation du travail de médiation.
Ce projet s’inscrit dans une double démarche : sur le plan scientifique, il s’agit de documenter une mobilisation et des pratiques qui demeurent méconnues. Ce travail sociologique et historique viendra combler un manque dans la littérature scientifique en France sur le sujet. Malgré les multiples publications sur l’histoire de la lutte contre le sida, les enjeux de médiation ont en effet rarement été étudiés en tant que tels. Les articles scientifiques découlant du projet viseront à répondre à ces enjeux. Sur le plan communautaire, il s’agit de soutenir les démarches d’amélioration des pratiques d’accompagnement en santé et de contribution à la montée en compétences des acteurs-ices. Le projet vise dans ce cadre la valorisation du travail de médiation (a fortiori communautaire), mais aussi de donner des éléments de plaidoyer pour l’amélioration conditions de travail et salariales. La rédaction d’un rapport final permettra l’élaboration d’argumentaires