ELOCAN
Effets du droit à l’oubli pour l’accès à l’assurance emprunteur après un cancer
L’objectif principal est de mesurer les effets de la politique du « droit à l'oubli » (DAO) sur la capacité des anciens malades du cancer à emprunter.
L’objectif secondaire est de comprendre les difficultés qui peuvent subsister à l’échelle individuelle pour accéder à l’assurance emprunteur malgré le DAO et de mettre en lumière les avantages et limites de ce dispositif.
Un troisième objectif consiste dans l’analyse du cadre sociétal, politique et juridique de production et de mise en œuvre du DAO à l’échelle Européenne.
Agnès Dumas, Renaud Debailly
INCa; SIRIC Curamus
SESSTIM; GEMASS (Groupe d'Etude des Méthodes de l’Analyse Sociologique de la Sorbonne), Sorbonne Université; ECEVE (Unité d’épidémiologie clinique et évaluation économique appliquée aux populations vulnérables); CESP (Centre de recherche en Epidémiologie et Santé des Populations), Equipe Radiation, INSERM ; Centre Georges François Leclerc; Les Seintinelles; Site de recherche intégrée sur le cancer (SiRIC) Curamus ; LNCC (Ligue nationale contre le cancer); ECPC (European Cancer Patient Coalition)
L'accès au crédit est un enjeu de société qui concerne un Français sur deux. Dans la plupart des pays occidentaux, les banques demandent aux emprunteurs de couvrir leur prêt par une assurance. Or l’accès à cette assurance emprunteur est difficile pour les anciens malades du cancer, qui sont considérés comme ayant un risque aggravé de santé, avec de possibles surprimes, des exclusions de garantie, ou même un refus d’assurance. En France, une loi intitulée « le droit à l'oubli » (DAO) a été mise en place en 2017 pour les aider à accéder à l’assurance-emprunteur, en fonction de leur diagnostic, de leur âge et de leur stade. Depuis, d’autres pays ont suivi l’exemple Français (Belgique, Pays-Bas, Luxembourg, Italie).
L’hypothèse principale du projet est que le droit à l’oubli a réduit les difficultés d’accès à l’assurance emprunteur. On postule également que le droit à l’oubli est un dispositif complexe, qui soulève des enjeux à l’échelle individuelle et sociétale.
Cette recherche s’appuie sur une enquête quantitative en ligne et des entretiens qualitatifs.
L’étude ELOCAN visait à évaluer les effets du droit à l’oubli sur la réduction des difficultés rencontrées par les anciens malades du cancer vis-à-vis de l’accès à l’assurance emprunteur. Les difficultés étaient définies comme le fait de payer une surprime, d’avoir des exclusions de garanties, ou de se voir refuser toute proposition d’assurance par un assureur. Pour cela, une étude par questionnaire a été menée avec la participation d’anciens patients traités pour un cancer pédiatrique ou un cancer du sein et des personnes (des « témoins ») sans antécédents de cancer. Les difficultés d'accès à l'assurance emprunteur signalées par les anciens malades du cancer et les témoins avant et après l'adoption de la loi (2010-2022) ont été recueillies et comparées entre les groupes. Les groupes ont été rendus comparables (« appariés ») à l'aide d'un score basé sur la proximité des participants en termes d'âge, de sexe, de montant du capital assuré et de variables liées à la santé.
Pour comprendre les barrières sociales, cognitives et symboliques à l'utilisation du DAO à l’échelle individuelle, des entretiens ont été réalisés avec des anciens patients avec différentes expériences liés au crédit.
Des entretiens ont également été réalisés avec des assureurs, des législateurs, des juristes et des représentants d’associations, en France et à l’étranger, pour comprendre les barrières institutionnelles, politiques et économiques à la mise en place du DAO, en France et dans les pays où il a été implémenté.
Les résultats attendus sont de produire des connaissances pour informer les parties prenantes, au niveau international, et de formuler des recommandations pour adapter ou créer des outils d'information en France.
Les résultats de l’étude quantitative sont publiés : https://doi.org/10.1007/s11764-025-01830-4
Les résultats montrent que la probabilité d’avoir des difficultés à obtenir un prêt a diminué de manière significative après l’adoption du droit à l’oubli. Sur 552 répondants appariés, des difficultés d'accès à l'assurance liée au prêt ont été signalées par 65 % des cas contre 16 % des témoins avant le droit à l’oubli et par 35 % des cas contre 15 % des témoins après le droit à l’oubli. Ces différences étaient significatives sur le plan statistique quand l’ensemble des participants étaient inclus. Mais, quand les analyses faisaient la différence par type de cancer, on observe que les résultats n’étaient pas significatifs pour la sous-population des personnes traitées à l’âge adulte pour un cancer du sein, même s’il y avait bien une réduction importante de difficultés rapportées avant et après la loi.
En conclusion, cinq ans après la mise en place du droit à l’oubli, on observe une diminution significative de la proportion d’anciens malades du cancer rencontrant des difficultés après l'adoption du droit à l’oubli. Cependant, il restait des difficultés possibles dans la mise en œuvre, la diffusion et l'utilisation de la loi, en particulier pour les personnes traitées à l’âge l'adulte. La nouvelle loi Lemoine, dans laquelle le droit à l’oubli a été réduit pour tous les cancers 5 ans après la fin des traitements, et, qui prévoit la suppression des questionnaires de santé dans certaines conditions, représente une avancée majeure pour les anciens malades. De plus, la convention AERAS continue de publier des grilles de référence permettant la prise en compte des avancées médicales.
Une réflexion sur les limites éthiques du droit à l’oubli a également fait l’objet d’une publication : https://doi.org/10.1016/j.etiqe.2025.02.002