CaSSur
Les Cancers Sous Surveillance - Diagnostic, Terminologie et Expériences
Ce projet sur les cancers sous surveillance, leur diagnostic, la terminologie qui les entoure et les expériences des patients-en-attente se structure en 3 axes : (1) Mieux comprendre les besoins, expériences et attentes des personnes diagnostiquées d’un cancer de la thyroïde et de la prostate sous surveillance active depuis au moins 1 an en région PACA.
(2) Analyser les discours tenus et la terminologie utilisée par les spécialistes (prostate et thyroïde) lors de la consultation d’annonce et lors des premières consultations de surveillance (moins d’1 an depuis le diagnostic initial)
(3) Analyser les enjeux éthiques liés aux parcours de surveillance proposés aux personnes diagnostiquées d’un cancer potentiellement indolent
Julia Tinland
Le nombre de personnes diagnostiquées d'un cancer mais non traitées - sous simple surveillance ou surveillance active - risque d'augmenter considérablement dans les prochaines années. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette tendance. Premièrement, un effort important en France, en Europe et dans le monde vise à améliorer le dépistage et la détection précoce des cancers dans l'idée qu'intervenir plus tôt permet de prévenir une évolution de la maladie vers des stades plus sévères et nécessitant des approches plus lourdes et invasives. Par ailleurs, une amélioration significative des techniques et technologies diagnostiques ainsi que leur accessibilité grandissante permet d'élargir considérablement le dépistage et la détection précoce du cancer. Cependant, la trajectoire de certains cancers - notamment les cancers de la prostate ou de la thyroïde - est en réalité profondément hétérogène. Il n'est pas du tout certain que ces cancers, quand ils sont diagnostiqués très précocement, se développent de façon à causer du tort aux personnes concernées, que ce soit en termes de qualité de vie ou de longévité. Ces cancers sont alors dits indolents : ils sont voués à rester stables, dormants. Afin d'éviter des problèmes de surtraitement, il est souvent proposé aux personnes concernées (des "patients-en-attente") une surveillance dite active. Des consultations de contrôle visant à évaluer le niveau et la vitesse de progression de la maladie à intervalle plus ou moins régulier leur sont proposées tous les quelques mois ou tous les ans. Plusieurs enjeux épistémiques, éthiques et sociaux apparaissent alors autour d’une nouvelle figure en cancérologie : celle des “patients-en-attente” ou les “patients-en-devenir”. Ces personnes qui ont le statut de patient sans pour autant être vraiment malades, plongées dans l’incertitude, tendent à subir l’impact de leur diagnostic bien plus que celui de leur maladie. Elles risquent, dans les années à venir, de devenir de plus en plus nombreuses, mais pourtant en restant dans une forme d’invisibilité, voire parfois de "décrochage" des parcours de surveillance. En effet, ne voyant leur spécialiste qu’occasionnellement au cours de consultations généralement courtes et presque jamais les autres membres des équipes de soin, les expériences de ces personnes, leurs angoisses, leurs besoins, tendent à rester des impensés de la structuration des parcours de “soins”. Par ailleurs, les parcours de surveillance qui leur sont proposés peuvent grandement varier : accès inégal à la consultation paramédicale d’annonce prévue dans le cadre du Plan Cancer 2003-2007, implication plus ou moins importante du médecin généraliste, coordination entre médecine de ville et hôpital, accès aux associations de patients, etc.
Comment les personnes diagnostiquées d’un cancer mais sous simple surveillance vivent-elles leur diagnostic ? Comment ce diagnostic leur a-t-il été annoncé ? Quels ont été les mots utilisés ? Comment comprennent-elles ce qui leur a été communiqué et expliqué ? Quelles sont leurs expériences de la surveillance ? Quels besoins expriment-elles ?
Axe 1 : besoins, expériences et attentes des personnes diagnostiquées d’un cancer de la thyroïde et de la prostate sous surveillance active depuis au moins 1 an en région paca L'objectif du premier axe est de mieux comprendre les expériences, besoins et ressentis des personnes diagnostiquées d’un cancer de la prostate ou de la thyroïde sous surveillance active à travers une trentaine d’entretiens semi-structurés : 15 entretiens avec des personnes diagnostiquées d’un cancer de la prostate sous surveillance depuis au moins 1 an et 15 entretiens avec des personnes diagnostiquées d’un cancer de la thyroïde sous surveillance depuis au moins 1 an dans la région PACA.
Axe 2 : analyse des discours tenus et de la terminologie utilisée par les spécialistes (prostate et thyroïde) lors de la consultation d’annonce et lors des premières consultations de surveillance (moins d’1 an depuis le diagnostic initial) Ce volet propose ainsi d’entamer une cartographie des discours cliniques et des dispositifs d’annonce mis à disposition des patients afin de déterminer comment ces cancers leur sont présentés, si le mot “cancer” est employé, quelles alternatives et champs lexicaux sont mobilisés, quels professionnels sont impliqués dans l’annonce, comment le choix de surveillance est expliqué, etc. Il consistera en la tenue d’observations ethnographiques en services d’oncologie (prostate et thyroïde) lors de consultations d’annonce (si possible) ou lors des premières consultations de surveillance (moins d’1 an après le diagnostic initial). Par ailleurs, une dizaine d’entretiens semi-structurés seront conduits avec des spécialistes (prostate et thyroïde) afin de recueillir des données qualitatives sur leurs propres expériences et approches de la surveillance active et du diagnostic de cancers potentiellement indolents.
Axe 3 : analyse des enjeux éthiques liés aux parcours de surveillance proposés aux personnes diagnostiquées d’un cancer potentiellement indolent Le travail du 3ème axe concerne un travail philosophique et conceptuel visant à faire émerger les enjeux éthiques de la surveillance, sans travail de terrain à proprement parler. Il ne fera l'objet que de quelques réunions du comité de suivi. Ce volet permettra d’analyser de façon collective et co-construite avec des patients et partenaires professionnels les données de terrain récoltées dans les axes 1 et 2 afin de discerner les points de désaccord, de clarifier les termes et de révéler les ambiguïtés qui peuvent exister et, enfin, de poser les bases d'une co-construction d'outils d'aide à la décision et de ressources à disposition des patients et/ou des professionnels de santé. Il s’agit ainsi surtout de mettre en lumière les enjeux et positionnements des acteurs concernés dans ces débats en se nourrissant de réflexions éthiques et conceptuelles et inversement.
Financé dans le cadre de l'Appel à projets "Emergence SHS-E-SP" 2024 du Cancéropôle PACA