Chaque jour en France, plus de quatre-cents personnes actives ou en âge de l’être apprennent qu’elles ont un cancer. Or, plusieurs études françaises et internationales mettent en lumière l’impact négatif de la maladie sur la vie professionnelle, ce qui positionne le sujet du retour au travail et du maintien en emploi après le diagnostic d’un cancer au cœur d’enjeux sociaux, mais aussi politiques puisqu’il constitue un des objectifs du 3ème Plan Cancer. En moyenne, ces études estiment que près d’un quart de la population en emploi au moment du diagnostic ne l’est plus deux ans après. Ce taux varie entre 8 % et 40 % selon les études et les pays mais également selon les caractéristiques socioprofessionnelles et médicales des populations enquêtées (Paltrinieri et al., 2018). Malgré un intérêt grandissant des sciences sociales et médicales pour ce sujet, la plupart des études françaises s’intéressent à des populations restreintes (parmi lesquelles les femmes atteintes d’un cancer du sein sont les plus représentées) sur des périodes d’observation relativement courtes (inférieures à 2 ans du diagnostic).
Dans ce contexte, cette recherche doctorale a pour objectif de participer à la compréhension des difficultés rencontrées par les personnes atteintes de cancer dans la poursuite de leur vie professionnelle en dépit des dispositifs mis en place par les pouvoirs publics. Afin d’apporter une vision complète du sujet, cette recherche se veut transdisciplinaire : elle s’inspire de théories de santé publique, sociologique mais également économique, et mobilise des méthodes mixtes alliant analyses quantitatives et qualitatives. Ces analyses reposent exclusivement sur deux sources de données : l’enquête nationale VICAN5, conduite par l’Institut National du Cancer et l’enquête CAREMAJOB réalisée dans le cadre de ce travail doctoral. VICAN5 est une enquête transversale réalisée par questionnaires auprès de personnes diagnostiquées d’un cancer en 2010/2011 et interrogées sur leurs conditions de vie cinq ans après, tandis que CAREMAJOB est une enquête longitudinale pour laquelle deux séries d’entretiens semi-directifs ont été réalisés à six mois d’intervalle auprès de personnes en emploi au moment du diagnostic de leur cancer. Nos résultats corroborent ceux de la littérature : les personnes ayant les caractéristiques socioéconomiques les moins favorables sont les plus vulnérables face au maintien en emploi à distance du diagnostic. En complément, cette recherche soutien l’intérêt de considérer des indicateurs complémentaires au taux de retour au travail pour caractériser la situation professionnelle post-diagnostic, tels que les parts d’emplois réduits et de changements de poste ou encore l’évolution de la situation financière. En outre, l’approche individuelle souligne le rôle actif du patient tout au long du processus de retour au travail. L’intersection subjective de ses expériences, de la maladie et du travail, construit progressivement sa motivation à reprendre une activité professionnelle. Néanmoins, la capacité individuelle à se maintenir en emploi peut être altérée par l’accès socialement différencié aux dispositifs d’aide, tels que les aménagements du travail qui, d’après nos résultats, favorisent le maintien en emploi à moyen terme.
Dans une perspective de politiques publiques, cette thèse plaide pour un accompagnement personnalisé des personnes atteintes de cancer qui doit être réalisé précocement dans le processus de retour au travail, et ce, afin de prendre en considération simultanément les inégalités socioprofessionnelles et les motivations individuelles. Plus précisément, une attention spécifique doit être portée aux travailleurs indépendants, aux femmes, aux individus disposant d’un faible statut socioéconomique et à ceux ayant des conditions de travail délétères avant même la survenue de la maladie.